16/11/2019

_Montage inuit


Une petite navigation ce jour entre les collections ethnographiques et d’ « art autochtone » en Amérique du Nord m’a doucement menée jusqu’à cet objet mystérieux, conservé au Musée de la Civilisation de Québec sous le titre — que j’imagine être un « [titre attribué :] » — de Montage.




Il s’agit d’un tableau de bois de la taille d’un plateau-repas individuel (31 x 44 cm), aux angles arrondis, sur lequel on a peint une grande rose des vents rouge, blanche et bleue. Des emblèmes et motifs marins sont représentés autour d’elle : bouées de sauvetage, drapeaux, une petite croix blanche en haut, deux disques d'allure astrale, l’un rouge et l’autre gris sombre, en bas. Des objets d’usages et petites amulettes sont réparties sur cette surface, fixées grâce à des morceaux de ruban bicolore, et des clous : des figurines sculptées dans du bois ou de l’ivoire, un peigne, des tendeurs et d’autres choses magnifiquement ciselées, dont je ne sais rien du tout… il y a aussi une pointe de harpon et une cuillère me semble-t-il, une petite corde en haut, des dents d’animaux, une mâchoire — ... de chien ?

La datation (1939) n’est peut-être qu’indicative ; il est possible qu’elle corresponde à l’année de la découverte où de la première acquisition de l’objet. Le musée des civilisations précise bien que ses composants peuvent dater du XIXème siècle, autant que du début du XXème. Pour ce qui est de l’origine, il y a une incertitude : ce Montage aurait été « sans doute fait par un marin ou par une personne qui naviguait dans l’Arctique ». Il est indexé au groupe ethno-linguistique Eskaléoute, et plus précisément à la région du Nunavut (à l'ouest et au nord de la Baie d'Hudson), il pourrait donc s’agir d’une production Inuit. La peinture utilisée pourrait provenir d’un bateau d’approvisionnement du littoral du Nunavik.

Ce Montage est une sorte de pèle-mêle (la description fait référence aux "keepsakes" de l'époque victorienne) : recueil et agencement d’objets ordinaires, fragmentaires ou de moindre valeur, dans une perspective mnémonique et, probablement, narrative. L’organisation narrative passerait par une mise en espace, plutôt que par des articulations spécifiquement littéraires : par la disposition des éléments sur la surface du panneau. Non que l’auteur ait forcément géolocalisé ses souvenirs sur un plan strictement réaliste, mais il les a bien cartographiés, autour de cette rose des vents qui en appelle à notre sens de l'orientation. 

Au centre de la rose des vents, il a attaché l’une des deux figurines anthropomorphes du Montage : on peut supposer qu’elle le représente, ou représente plus particulièrement sa psyché (car son corps est nomade). À moins que cette figure centrale ne représente un être cher (son enfant, par exemple), et que lui se soit mis sur le côté... De toute façon, il est probable qu'il se soit situé dans cet espace crénelé de souvenirs, de rencontres, dont on ne saurait départir la dimension autographique (subjective), et la dimension géographique (objective). 

Sur ces bases, j’en viens à m’interroger sur la fonction des rubans. Certains pourraient ne servir que d’attache mais d’autres sont plus longs, et à la faveur de leur clouage, dessinent des zigzags qui me semblent déborder cette fonction strictement technico-matérielle. Ils représenteraient, soit des itinéraires entre deux étapes, soit des liaisons narratives, suivant un schéma actantiel ou même associatif libre. 

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