21/01/2020

_Le fou dans la paille



Le fou dans la paille
J.-Ph. Charbonnier, 1954
Le fou dans la paille appartient à une série de 15 photographies de Jean-Philippe Charbonnier, réalisées dans le cadre d'un reportage sur l'hôpital psychiatrique de Poitiers pour le magazine Réalités, en 1954. Cliquer ici pour consulter a notice de l'ensemble à la BNF. À propos du fou dans la paille, on peut y lire la légende  :
"Un corridor sinistre. Venant de derrière de lourdes portes les râles répugnants et les odeurs infectes des vomisseurs fous en cure de dégoût (tout au gros rouge...). Derrière une dernière porte, un forcené précoce, nu dans la paille. Je le photographie à travers le gros verre douteux de son judas léché et reléché sans voir (les appareils reflex n'existaient pas). Il est deux heures du matin, j'ai enfin convaincu le charmant médecin-chef, épuisé par ma dialectique, de me laisser faire."
On trouve en ligne d'autres reproductions de cette photographie, plus contrastées. 

Reproduction de gauche : Mutualart
Reproduction de droite : Collections des musées de Paris 
L'espèce de brume cendrée à travers laquelle on distingue la scène, sur la version de gauche, me paraît précieuse ; on peut l'expliquer par les conditions de la prise de vue, l'obscurité et le "gros verre douteux" de ce judas contre lequel le photographe a collé son objectif à l'aveugle - on en devine, d'ailleurs, le bord supérieur. Puisqu'il témoigne de ces réalités ce voile gris n'est donc ne serait donc pas sans valeur "documentaire" ; il a aussi, en même temps, une fonction esthétique : il confère à cette image un aspect crépusculaire et quasi fantastique par lequel il ne me semble plus seulement "voir" le corps d'un fou (et surtout pas le voir clairement) mais éprouver son apparition, ailleurs que sur ma rétine. 

Quant à la paille qui le recouvre jusqu'à la poitrine... à mes yeux de profane elle n'évoquait jamais que l'univers de l'agriculture, incongrue en ces lieux dont j'avais bien reconnu le caractère clinique (les murs son blancs et carrelés). 

Il est question de paille, en psychiatrie, dans le rapport sur les établissements consacrés aux aliénés de France rédigé par Etienne Esquirol, en 1818 : "Je les ai vus nus, couverts de haillons, n’ayant que de la paille pour se garantir de la froide humidité du pavé sur lequel ils sont étendus". Il semble alors s'insurger que l'on mette les malades dans la paille ;  à le lire vingt ans plus tard pourtant, s'agissant d'un cas particulier, cette pratique s'expliquerait par le fait que le malade "déchirait tout ce qui tombait sous ses mains" :

ESQUIROL Etienne
Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal
1838

Cette "méthode" de la paille perdure en psychiatrie, du moins jusqu'en 1954 : en témoigne la photographie de Charbonnier. La nudité du corps qui s'y trouve plongé me laisse imaginer la sensation du piquant de tous ces brins qui l'assaillissent comme autant de "becs d'oiseaux de proie". Est-il debout, accroupi, assis ou allongé dans la paille ? se bat-il contre la paille, ou s'y blottit-il ? s'en relève-t-il ou y sombre-t-il ? Aucun sol n'est visible, sous l'épais nuage qu'elle fait autour de lui ; il y lévite, elle le submerge, il s'y perd, elle lui appartient. Là où s'enfonce sa main, sa couleur est celle de la nuit que l'on devine derrière la fenêtre : celle du dehors.


11/01/2020

_Cachez ces déchets que je ne saurais voir



J'étais invitée à présenter une analyse d'œuvre ce samedi 11 janvier, à l'occasion de la première session des Après-midis du collège clinique de Lille et de l'ACF CAPA accueillis à l'Hôpital Saint-Vincent de Paul - session consacrée aux déchets [ >>> lire la présentation sur Facebook]

Mon intervention s'intitulait Le filmograffiteur de Zemrude