25/11/2019

_Jim


Il se fait parfois attendre. Parfois quelques minutes, quelques secondes… Prenons Jim le Glisseur (Ferdinand Zecca, 1910), par exemple : dans ce film il lui faut sept secondes pour apparaitre. 

Il faut voir la scène (typique) : un intérieur, plutôt réduit, sans fenêtre ; au dessus des boiseries les murs sont tapissés de rayures verticales, fines et serrées. Au milieu, un homme assis à son bureau, vêtu d’une veste grise et d’un pantalon noir, paraphe un document. Il est un peu chauve, porte une moustache et une petite barbe ; il se tient un peu trop droit, tout en paraissant, malgré tout, un peu trop flasque. Une porte s’ouvre, un brigadier fier et agité, coiffé d’un casque en forme de suppositoire, entre. Il salue son supérieur en faisant claquer ses talons aux pieds de son fauteuil, et lui demande l’autorisation d’ordonner à ses deux sous-fifres de les rejoindre. Stop. Sept secondes… quelle barbe. Il faut enfin le dire : sans lui, le cinéma est d’un ennui mortel.

Qui est-il, exactement ? Cela, je ne saurais le dire ; je cherche à l’identifier, et c’est pour cela que j’écris. Il pourrait ne pas porter de nom pour le moment ; appelons-le Jim, comme Jim le Glisseur puisqu’il est, dans une certaine mesure, à son image. Il pourrait aussi bien être l’Etranger dans « Pour une poignée de dollars » (lui, il faut sept minutes pour bien le voir). Mais j’y reviendrais peut-être, plus tard. Ce qui m’importe, là, c’est le monde sans Jim - puisqu’il nous laisse le temps de l’apprécier avant d’apparaître. Le monde, en l’absence de Jim, c’est comme la bureaucratie policière. C’est comme le chiffonnier en bois vernis derrière ceux qui demandent des justificatifs : clos, lourd et sans profondeur, en même temps.

Jim s’y laisse trainer comme une serpillière par les deux policiers qui attendaient l’ordre de le faire. Il porte une casquette, son costume est clair, et ample. Avant d’adresser un regard au bureaucrate qui le jauge depuis son fauteuil, il jette quatre coups d’œil sur les lieux : le plafond au dessus de la porte qu’il vient de franchir, un coin du quatrième mur… le caisson et les pieds du bureau semblent l’intéresser plus particulièrement. Pour Jim, connaitre l’endroit, c’est plus important que de savoir ce qu’on a à lui dire. Le socle prime sur ce qui s’y trouve posé, le contenant prime sur le contenu. Ses regards sont furtifs, précipités, mais perçants, d’une efficacité redoutable : ils fraisent profondément aux quatre coins du cadre, ils flèchent le hors-champ, la zone imaginaire libre. Ça s’ouvre. 

Le chiffonnier contient bien quelque chose qui, peut-être, importe. Il y a des panneaux, sur les murs, d’un blanc immaculé : à quoi peuvent-il bien servir ? N’y aurait-il pas une fenêtre, du côté du quatrième mur ? N’y aurait-il pas une clef sous le pied de ce bureau ? Dans ce pauvre petit compartiment que nous avions sous les yeux, ceux de Jim donnent de quoi croire en un monde un peu plus vaste, un peu plus divers, un peu plus vivant ; ses poches étaient donc pleines. Tandis que la flicaille en déverse le contenu (pendentifs, colliers…), naturellement je ris ; mais de joie d’abord, car avant d’être drôle, c’est merveilleux : j’acquiers enfin la certitude que de petites choses peuvent briller sur cet écran. 








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